On nous pose désormais la question de savoir si les frais supplémentaires facturés par Enedis pour les personnes non équipées d'un compteur Linky sont légaux, justifiés, contestables.
Nous avons donc vérifié les assertions indiquées par Enedis dans leur courrier explicatif, à savoir que cela avait été autorisé par la Commission de régulation de l'énergie, notamment dans sa délibération n° 2025-78 du 13 mars 2025. Cette même délibération renvoie à celle n° 2022-82 du 17 mars 2022.
Nous avons donc cherché, trouvé, lu en détails et identifié pour vous les explications concernant ces frais. Voici le résultat de notre recherche.
Commission de régulation de
l’énergie
Délibération
no 2025-78 du 13 mars 2025 portant décision sur le tarif
d’utilisation des réseaux publics de distribution d’électricité
(TURPE 7
HTA-BT)
NOR : CRER2513967X
14 mai
2025, texte 248 pages
Journal
officiel électronique authentifié n° 0112 du 14/05/2025
4.3.3.6.
Composante additionnelle pour comptage non communicant
La phase de
déploiement massif des compteurs Linky s’est achevée fin 2021. Si
la relève à distance
permise par les
compteurs communicants génère des économies significatives, le
maintien de
compteurs
historiques entraîne une désoptimisation et donc des coûts
supplémentaires. Dans sa
délibération
n°2022-82 du 17 mars 2022, la CRE (voir annexée)
avait introduit un dispositif visant à s’assurer que ces coûts ne
soient pas supportés par l’ensemble de la collectivité mais par
les consommateurs qui les génèrent, à travers une composante
supplémentaire venant s’ajouter à la composante de comptage, au
titre du traitement tarifaire de la relève résiduelle.
Dans une phase
transitoire courant jusqu’à la fin du TURPE 6, cette composante
dénommée
« Composante de
comptage spécifique à la relève résiduelle » (et d’un montant
de 61,20 €/an) est
facturée aux
clients qui ne sont pas équipés d’un compteur Linky et qui n’ont
pas mis à disposition
d’index de
consommation depuis plus de 12 mois.
Dans
cette même délibération du 17 mars 2022, la CRE avait annoncé
qu’elle envisageait, dans une seconde phase, à compter du TURPE 7,
de faire porter les coûts identifiés à tous les utilisateurs sans
compteur
Linky, sauf si le compteur n'a pas pu être installé pour des
raisons d'impossibilités techniques indépendantes du client.
Dans sa consultation
publique du 11 octobre 2024, la CRE a présenté les modalités et le
niveau
envisagés pour
cette nouvelle composante, sur la base de propositions d’Enedis
prenant en compte les coûts générés par les compteurs historiques
résiduels. Ces coûts supplémentaires étant multiples et pas
uniquement portés par le processus de relève, la CRE renomme cette
composante «Composante additionnelle pour comptage non
communicant ».
La majorité des
acteurs répondants (hors particuliers) à la consultation publique
s’est montrée favorable à la proposition de la CRE de création
de cette nouvelle composante, approuvant le principe de faire porter
les coûts supplémentaires liés au maintien des compteurs
historiques aux clients qui en ont fait le choix. L’avis des
répondants particuliers, quant à lui, est majoritairement
défavorable.
La CRE estime qu’il
ne serait pas légitime de faire payer les utilisateurs équipés
d’un compteur Linky pour les surcoûts générés par le maintien
d’un parc de compteurs historiques. C’est pourquoi elle décide
d’inclure cette composante dans le tarif TURPE 7.
.../...
Modalités du
dispositif
Conformément à la
proposition présentée dans la consultation publique, la composante
sera
différenciée : une
composante socle sera facturée à tous les clients non équipés
d’un compteur évolué (sauf si l'installation n'a pas pu être
réalisée pour des raisons d'impossibilités techniques
indépendantes du client).
Les clients pourront
transmettre leur index par auto-relevé et Enedis prévoit également
de mettre en
place un système de
prise de rendez-vous pour les demandes de relève à pied ou de pose
de Linky, ce qui participerait à améliorer l’efficacité des
déplacements et la prise en compte des demandes des
clients. Ces
déplacements ne feraient pas l’objet d’une facturation
supplémentaire. La CRE retient
l’hypothèse que 5
% des clients prendront rendez-vous une fois par an, considérant
l’hypothèse de 10 %
présentée en
consultation publique comme surévaluée.
Les utilisateurs
ayant transmis des index auto-relevés pourront faire l’objet d’un
contrôle. La CRE retient que ces contrôles s’appliqueront chaque
année à 8 % des clients ayant transmis un index auto-relevé.
A cette composante
socle, s’ajoutera une majoration pour les clients dont le dernier
index réel
communiqué date de
plus de 12 mois (clients dits « silencieux »), que cet index
provienne d’un auto- relevé ou d’un relevé sur site demandé
par le client. Cette majoration permettra de couvrir le coût des
contrôles supplémentaires qui seront plus fréquents car rendus
nécessaires par l’absence d’information sur la consommation des
clients concernés. Environ 50 % des clients silencieux feront ainsi
l’objet d’un contrôle chaque année.
.../...
Calcul du montant
de la composante
La CRE établit le
montant de la composante sur la base des coûts générés par les
clients ayant un
compteur historique,
tels que présentés par Enedis :
• les coûts de
communication avec les utilisateurs concernés, notamment :
* le maintien du
parcours actuel de notification client :
- l’envoi d’un
courrier de proposition de pose et de prévenance ;
- la transmission
d’un maximum de 3 notifications (SMS, mail, courrier) avant la
date théorique de
relève pour inciter le client à adresser un index auto-relevé
ou prendre un
rendez-vous de relève dans le tableau de charge d’Enedis ;
- l’envoi d’un
courrier entre 12 mois et 14 mois après la date du dernier index de
consommation connu ;
* le traitement des
appels des clients ;
• les coûts SI
(coûts de développement et de maintenance, achat des licences) et
de gestion
(suivi des clients,
organisation des ressources humaines pour les rendez-vous de pose, de
relève à pied ou
de contrôle ciblé, dotations des matériels, etc.) ;
• les coûts de
contrôles ciblés ;
• les coûts de
relève à pied sur rendez-vous ;
• 90 % des coûts
du maintien de la TCFM qui se justifie principalement par la
transmission des
signaux tarifaires
et d’asservissements aux clients non équipés de compteurs Linky ;
• les coûts de
maintenance des compteurs bleus électroniques : Enedis doit
reconditionner des
anciens compteurs
car ils ne sont plus fabriqués.
Extrait : 14 mai 2025 JOURNAL
OFFICIEL DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE Texte 72 sur 99
Le calcul du
montant des composantes est détaillé dans le tableau ci-dessous :
Le montant de la
composante annuelle socle est donc de 38,90 €, facturée de manière
bimestrielle.
Le montant total de
la composante annuelle majorée (composante socle et majoration) est
de
63,74 €, facturée
de manière bimestrielle.
Cette composante
entrera en vigueur au 1 er août 2025 puis évoluera en niveau lors
des évolutions
annuelles du TURPE.
Source :
Texte 72 sur 99, 14 mai 2025, Journal officiel de la République
française
Annexe :
Disponible sur le site de la
CRE
DELIBERATION
N°2022-82
Délibération de la
Commission de régulation de l’énergie du 17
mars 2022 portant
décision sur le cadre de régulation incitative du
système de comptage
évolué d’Enedis dans le domaine de tension
BT ≤ 36 kVA
(Linky) pour la période 2022-2024 et modifiant la
délibération
n°2021-13 portant décision sur le tarif d’utilisation
des réseaux publics
de distribution d’électricité (TURPE 6 HTA-BT)
Traitement de la
relève résiduelle
« La CRE
considère qu'Enedis devra pouvoir poursuivre sa mission de service
public de relève pour la facturation des utilisateurs non équipés
de compteurs Linky. Si la période de déploiement diffus qui s’étend
de 2022 jusqu’à 2024 devrait permettre de régulariser la majorité
des situations, la CRE considère que l’ensemble des clients qui
empêcheraient encore la pose d’un compteur Linky durant cette
phase de déploiement diffus doivent supporter les surcoûts générés.
A court terme,
durant cette phase de déploiement diffus, la CRE est favorable à ce
que seuls les clients non équipés d’un compteur Linky et muets
(ne communiquant pas leurs index lors des campagnes d’auto-relève
et ne permettant pas la pose d’un compteur Linky) supportent les
coûts générés par ce comportement.
En conséquence, la
CRE modifie la délibération du 21 janvier 2021 (TURPE 6 HTA-BT4)
afin d’introduire une composante de comptage spécifique qui sera
facturée aux utilisateurs BT ≤ 36 kVA non équipés d’un
compteur Linky, qui n’ont pas permis à Enedis de poser un compteur
Linky et n’ayant pas mis à disposition d’Enedis leurs index de
consommation durant une année à compter du 1er janvier 2022. Cette
composante qui vient s’ajouter à la composante de comptage des
utilisateurs BT ≤ 36 kVA est appliquée tous les 2 mois par Enedis
pour un montant de 8,30€. »
En résumé, La CRE considère que les avantages du Linky permettent à Enedis de réduire certains coûts et d'augmenter son efficacité dans la gestion du réseau. Les sans Linky, même s'ils représentent moins de 10% de l'ensemble des clients abonnés, obligent Enedis à conserver des méthodes anciennes qui réduisent l'efficacité du nouveau réseau Linky. La CRE a décidé qu'il fallait répartir les "coûts additionnels" d'Enedis non pas à l'ensemble des abonnés mais seulement aux sans Linky, d'où la facturation supplémentaire.
Où est le "hic" dans tout cela ?
Voici notre logique, car "hic" il y a.
D'abord, il faut se rappeler que le Linky était supposé être gratuit, y compris sa pose, selon les promesses d'Enedis. En fait, le coût des Linky et de leur pose ont été facturés à tous les abonnés et "lissés" par la CRE dans le tarif de l'électricité facturée à tous les abonnés, avec ou sans Linky.
Ensuite, les "coûts additionnels" causés par les sans Linky, selon Enedis et la CRE, comprennent des frais de gestion qui sont définis comme "les coûts de la gestion clientèle des utilisateurs, l’accueil physique et téléphonique des utilisateurs, la facturation et le recouvrement." Mes ces coûts sont déjà compris dans les frais de gestion qu'Enedis recouvre par le tarif de l'électricité facturée à l'ensemble des clients abonnés, avec ou sans Linky. Et la CRE ne dit rien à ce sujet : a-t-elle pris cela en compte pour calculer les frais de 6,48€ chaque 2 mois ? C'est discutable.
On nous dit que les coûts supplémentaires occasionnés à Enedis par les sans Linky comprennent le "maintien d'un système de transmission des signaux tarifaires aux compteurs historiques, ainsi qu'à la relève à pied, aux contrôles et au contact client." Mais tout ces éléments sont aussi attribuables aux clients qui ne peuvent pas être desservis par Enedis avec un Linky en raison de contraintes techniques hors du ressort du client. Sauf que pour ces clients, la CRE a décrété qu'Enedis, à sa discrétion, peut faire fi de la facturation supplémentaire imposée aux autres sans Linky.
La question se pose donc : Et les personnes EHS ou qui pour autre raison ont obtenu un jugement du tribunal imposant à Enedis de ne pas poser un Linky chez elles, peuvent-elles, ou doivent-elles, bénéficier de cette dérogation tarifaire supplémentaire ? Ce n'est pas de leur ressort, mais de celui du tribunal, qu'elles sont sans Linky ! Et cela s'impose tout autant à Enedis.
L'argument est à faire. Laissez-nous savoir si vous le faites avec succès pour en faire profiter les autres lecteurs.